Il y avait ce bistrot qui faisait le coin au carrefour principal de la petite commune de Drogenbos. Sa patronne lui avait donné le nom de « l’Ange ». Il était situé en face de la maison communale et du cimetière juste à côté de ma petite école.
Parfois on y faisait des soirées dancing quand l’ambiance y était.
Souvent, je mangeais dans l’arrière-cuisine avec la fille de la patronne lorsque mon père avait décidé d’y passer la journée.
J’ai vu mon père détruire ce bistrot, son mobilier et ses clients plus d’une fois durant mes dix premières années.
Et cela pour n’importe quel désaccord jusqu’au simple « sa tête ne me revient pas », il pouvait surgir une bagarre.
Je me souviens aussi de mes parents lorsqu’ils étaient encore ensemble.
J’avais moins de quatre ans alors pourtant les images et les sons sont encore bien clairs dans ma mémoire.
Ces souvenirs des jours où ils rentraient saouls tous les deux, l’un au whisky, l’autre à la bière et qu’ils se disputaient.
Les cris de ma mère, les chocs sur le sol que j’entendais depuis la chambre dans laquelle ma grand-mère m’avait mise à l’abri dès que les premiers coups s’étaient mis à fuser.
Plus tard, dans ma vie d’adulte, de mère, je me rappelle des mots de cet avocat qui défendait mon dossier : « ce n’est pas celui qui hurle que l’on écoute ».
(Avec le recul, je dirais que ce n’est pas celui qui se tait non plus, mais soit)
J’ai appris à rester là, debout devant ces juges, à être accusée de tout et n’importe quoi, à écouter ces mensonges sans rien pouvoir dire, montrer, sans exploser.
Cela pour éviter de leur donner raison, car si j’avais pété un plomb, je n’aurais fait que confirmer ce que l’on disait de moi.
Pour moi marquer son désaccord c’est risquer un conflit.
Et le conflit c’est aller à l’affrontement de la même manière que le soldat qui accepte qu’il soit possible qui l’y laisse la vie.
C’est risquer de perdre un être cher.
Pourtant à l’intérieur de moi, il y avait cette immense colère, cette guerrière qui ne demandait qu’à sortir les armes que ce soit pour défendre sa mère ou pour défendre sa fille.
Je ne pouvais plus vivre avec cette agressivité, cette pulsion du combat qui me rongeait de l’intérieur.
Il me fallait en prendre le contrôle.
Car quand elle me submergeait, j’étais totalement bouleversée, je n’étais plus capable de réagir sauf peut-être dans la violence.
Je devais apprendre à dompter ces parts de moi qui s’apparente à un gorille des montagnes et un grizzly impitoyable. J’ai toujours ressenti au fond de moi que je pouvais basculer et tuer comme si c’était dans mes gênes.
Alors, j’ai cherché à canaliser cette agressivité pour apprendre à prendre du recul, pouvoir exprimer les choses dans l’espoir d’être entendue.
J’ai appris à analyser mes désaccords, mes colères, à les intérioriser pour trouver des réponses constructives à poser aux autres.
Tant et si bien qu’aujourd’hui même la mouffette un peu énervée ne se lâche plus vraiment.
Tout est cadenassé.. Surtout ne pas laisser sortir.
Même si je sais qu’aujourd’hui, je suis capable d’exprimer un désaccord sans pour autant sauter à la jugulaire des gens ou que je ne risque plus d’être battue.
Ce mécanisme de sûreté est intégré dans mon corps, dans mon cerveau.

Probablement qu’il m’a sauvé la vie plus d’une fois. Peut-être même aussi que c’était le mieux que j’avais à faire à l’époque devant ces juges.
Mais aujourd’hui, il me porte préjudice.
Comme dirait John Kafé : « Je suis fatiguée, patron » de serrer les dents, de me taire, de m’imposer à moi-même d’être toujours dans cette bien-pensance positive en me mettant dans la peau de l’autre pour le comprendre.
De me remettre en question sans cesse afin d’exprimer posément et proprement les sentiments qui m’habitent, le pourquoi du comment cela réveille en moi ceci ou ça.
J’aimerais pouvoir me libérer et juste crier un bon coup comme tout le monde.
De cœur à cœur,
Anha🌹